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Article(s) de Didier Agid

GLOIRE A DON JUAN

Par Didier Agid, le Vendredi 9 décembre 2011            No Comments            Partager sur: Tweet cette article !
Thématiques: intégrale chansons

Don Juan est un concentré de ce que Brassens a toujours insisté pour appeler sa “petite” philosophie. Littérairement, c’est une “gradation” (figure de rhétorique d’organisation selon laquelle un discours se développe en faisant se succéder des indications de plus en plus fortes). En liturgie (…pourquoi pas ?), c’est un Gloria, un hymne qui, en latin, commence par “Gloria”. Bien que notre mécréant préféré ait affirmé que sans le latin la messe nous emmerde, il en est ici resté à la langue de Verlaine (d’ailleurs on l’imagine mal écrire une messe… sauf peut-être pour quelques moines paillards).

 

Chaque couplet, donc, commence par “Gloire” :  à celui qui freine pour ne pas massacrer d’innocentes petites bêtes… au flic qui arrêtait la circulation pour les chats de Léautaud…  “au premier venu qui passe et qui se tait” quand les autres crient “haro sur le baudet”… au curé qui sauve son ennemi le jour de la Saint-Barthélémy… au soldat qui épargne “l’otage à sa merci”… à la bonne sœur qui dégèle dans sa main le pénis du manchot” (Brassens sera toujours Brassens)… et “Gloire à celui qui n’ayant pas d’idéal sacro-saint / Se borne à ne pas trop emmerder ses voisins”… Quant à Don Juan, il a droit à son Gloria à la fin de chaque couplet, car il se rapproche toujours un peu plus de la dame que la nature n’a guère favorisée. Avancée ponctuée chaque fois d’un “Cette fille est trop vilaine, il me la faut.” Jusqu’à conclure, c’est le cas de le dire : “Et gloire à don Juan qui rendit femme celle /  Qui, sans lui, quelle horreur ! serait morte pucelle !

 

Ces personnages appartiennent tous à une catégorie en général bien peu épargnée par Brassens, capable du pire (sauf “celui qui n’a pas d’idéal sacro-saint“… et encore). Cependant ils ont tous choisi de basculer dans le bon camp. C’est pour cela qu’ils méritent tant de louanges. Pour, chacun à sa manière, un acte de compassion, une main tendue… Pour en arriver à un essentiel de la morale à la Brassens : se borner à “ne pas trop emmerder ses voisins”. Sans oublier évidemment que l’acte de compassion de ce Don Juan-là  répare à la fois ce que la nature (ou Dieu) a mal fait et une “horreur”, un crime contre la vie : qu’une femme puisse mourir vierge… (Brassens reste Brassens…)

 

Elle est à eux tous cette chanson, comme La chanson pour l’Auvergnat était à l’Auvergnat, l’hôtesse et l’étranger.

 

Titre publié fin 1976 sur le dernier album des chansons de Brassens (CD9 de l’intégrale). Joel Favreau est sur l’enregistrement d’origine et sur ces deux vidéos. La seconde a été enregistrée le 17 décembre 2010, à New-York, où Pierre de Gaillande l’avait invité (avec le regretté Jean-Jacques Franchin, merveilleux accordéoniste qui nous a quitté quelques semaines plus tard).

Pierre…

Par Didier Agid, le Mardi 22 novembre 2011            No Comments            Partager sur: Tweet cette article !
Thématiques: Chansons, Coffret, personnages, vie privée,

Personnage incontournable, Pierre, le sercétaire, le factotum, l’ami, veille sur la mémoire de son ami Georges. Didier qui le connaît bien, nous dresse un portrait tout en pudeur et en sentiments..

Après Jeanne Planche, sa cane, sa ménagerie et son second mari, Pierre Onténiente, l’ami du STO puis secrétaire de Brassens s’installera Impasse Florimont. Pierre, à qui on pouvait acheter une voiture d’occasion les yeux fermés, fut la chance de Brassens, le débarrassant des soucis de l’intendance. On lui doit au moins la moitié de l’œuvre de son copain, poète désarçonné par les problèmes du quotidien. Pendant un quart de siècle, il l’a aussi protégé et défendu bec et ongles. Un roc, ce qui lui a valu le beau surnom de Gibraltar.

Il ne sera pas donné aux deux amis de se dire au revoir. Le jeudi 29 octobre 1981, Pierre est à l’Impasse. Il n’a pas vu Georges depuis près de trois semaines. Brassens est parti en avion finir son cancer chez son médecin, à Saint-Gély-du-Fesc, près de Sète. Georges  demande à Pierre de venir, dans une voiture qu’il compte offrir à son hôte. Un garagiste a mal bouché un bidon d’huile. Le coffre est souillé. Pierre s’en aperçoit à Montélimar. Et “voilà la pluie qui tombe en pesant bien ses gouttes, comme pour empêcher les retrouvailles coûte que coûte” aurait dit Georges. Pierre décide de laisser passer l’orage et prend une chambre d’hôtel. A 23 heures 14, alors que Pierre dort du sommeil du juste, la pipe de Georges se casse.

Depuis, Pierre Onténiente n’a jamais ménagé ses forces pour préserver la mémoire de son ami. C’est beaucoup grâce à lui que, cette année encore, on a trouvé de l’inédit de Brassens. Cet ami dont la générosité permet à Pierre de terminer en paix sa longue vie à la mythique impasse ; seul, maintenant que la camarde est venue lui enlever la douce Lucienne, son épouse, et leur dernier chat. Seul ? Pas vraiment. Dans sa tête il y a comme un nuage de fumée de pipe et un sourire sous une moustache.

PUTAIN DE CHATS !

Par Didier Agid, le Mercredi 9 novembre 2011            1 Commentaire            Partager sur: Tweet cette article !
Thématiques: animaux, Chansons, chats, intégrale,

Notre ami Didier Agid continue d’explorer la richesse des chansons de Brassens et de nous livre quelques secrets et analyses de textes.

Le chanteur catalan Miquel Pujadó a écrit une chanson hommage à Brassens intitulée : “Fum de pipa i pèl de gat” (Fumée de pipe et poil de chat) – Cliquez ici pour l’écouter. Brassens aimait tous les animaux. N’a-t’il pas chanté le gorille, la cane, les papillons ? Il s’est plus que bien accommodé de la ménagerie de Jeanne. Il aimait aussi les chiens et a même eu un perroquet. Mais Le chat est inséparable de Brassens et vice-versa. Sur le CD 12, vous pourrez même l’entendre dire qu’il aurait aimé être un chat. Entre animaux à moustache on s’entend bien.

Alors, dans ses chansons, Brassens il en a mis des chats. Brave Margot, Putain de toi, Le testament, Don Juan, Jeanne… Même dans son roman, La tour des miracles, cette loufoquerie surréaliste où les habitants de la tour ont de vrais chats dans la gorge.

La chanson où Brassens nous a laissé entrevoir sa vie entourée de félins, c’est Putain de toi. Quand il est arrivé en 1952 chez Patachou, c’était l’une des vingt-neuf écrites sur ses cahiers. En 1953, il la chantait au cabaret La Villa d’Este, vous en avez un enregistrement sur le CD 15. Chanson qui mettait tout le monde en joie, y compris Brassens lui-même, mais chanson plus délicate à faire accepter sur disque. Il a fallu attendre le 33t n°3, en 1955 (CD 2) pour sa sortie, en face B de La prière et la Chanson pour l’Auvergnat. Brassens partage avec Sartre l’honneur des deux titres les plus célèbres des années 50 commençant par “P…”. Pas question à l’époque d’afficher partout le mot “putain”, qu’elle soit “respectueuse” ou “de toi”. Je vous parle d’un temps que les moins de huit ans qui traitent tout le monde de pute ne peuvent pas connaître.

 

QUAND JE PENSE…

Par Didier Agid, le Mercredi 26 octobre 2011             4; Commentaires            Partager sur: Tweet cette article !
Thématiques: Chansons

Fernande. Ah, Fernande ! Depuis 1972 il est impossible de chercher une rime à ce prénom sans rire.

Brassens adorait la chanson paillarde. C’est un plaisir de potache qui ne l’a jamais quitté. Dans ses toutes premières chansons, il y avait Le mauvais sujet repenti (CD 2 – reprise un tout petit peu édulcorée de Souvenir de parvenue, déjà composée en 1943), Les radis, dans laquelle ce légume sert à infliger à la femme infidèle un supplice si délicieux que toutes en redemandent (chanson non enregistrée, et pour cause…), ainsi que Le petit-fils d’Œdipe, du répertoire classique des salles de garde qui, réécrite avec la verve brassensienne, devient un petit chef d’œuvre comique.

Au début des années 50, chanter “con” et “putain” choquait ; Brassens continuera à choquer avec d’autres mots impertinents jusqu’à ses chansons posthumes.

Mais Fernande (CD 8 ) est une vraie chanson paillarde, fidèle à la tradition des carabins. Mettre en situation… euh… délicate un séminariste et le soldat inconnu, mêler à ça l’hymne national, c’est la petite provocation libertaire conforme au genre. Comme Mélanie (CD 9), histoire franchement rigolatoire de “la bonne au curé” dont la sale manie est de s’introduire des cierges sacrés à un endroit que rigoureusement ma mère m’a défendu de nommer ici.

N’oublions pas que Brassens est fils de Rabelais qu’il lisait, en particulier, à l’époque où il écrivait Le gorille et Hécatombe. Chez lui, comme chez Rabelais, derrière l’hénaurme gaudriole, se profilent des réalités obscures. L’interprétation inattendue du groupe belge Vitor Hublot, si elle surprend, a le mérite de ne pas l’oublier.

Pour revenir à la rigolade, regardez aussi Eduardo Peralta dans l’exercice, chez lui, à Santiago du Chili, là où il chante ses adaptations de Brassens tous les lundi soirs depuis des années. Vous ne parlez pas la langue de Cervantes ? Mais si, mais si. La preuve : ” Cuando pienso en Fernanda / Se agranda, se agranda…”
Dernier petit détail : un des accords accompagnant l’expression “Je bande” est un accord dit de quinte augmentée…

GORILAS HERMANOS

Par Didier Agid, le Vendredi 14 octobre 2011             2; Commentaires            Partager sur: Tweet cette article !
Thématiques:

En dehors de la francophonie, il n’y a qu’un seul monde où une chanson de Brassens ait eu un succès grand public, c’est le monde hispanique. On le doit à Paco Ibáñez qui a eu les c… je veux dire le culot de chanter La mala reputación à Madrid, en 1968, sept ans avant la mort de Franco ! Et, entre Franco et lui, y’avait pas les Pyrénées. Il a raconté : “« Que la música militar nunca me pudo levantar…» [adaptation de : La musique qui marche au pas, cela ne me regarde pas] Le public, déchaîné, s’est levé à trois reprises en un formidable soulèvement sous le regard menaçant des «grises» [policiers hommes de main des franquistes]. Un miracle que j’aie pu aller jusqu’au bout de la chanson !” Après moult brimades, il est interdit en Espagne en 1971, et entre Franco et lui, y’a eu de nouveau les Pyrénées. Mais Paco n’a cessé de le conspuer, lui et tout ce qui lui ressemble, de rendre hommages à leurs victimes. En Uruguay, des femmes lui ont raconté qu’elles ont mieux pu résister aux tortures en se répétant sa chanson Palabras para Julia composée sur le poème de l’espagnol José Agustín Goytisolo “La vida es bella, ya verás…” (La vie est belle, tu verras…). Il est retourné en Espagne en 1990.

Les Espagnols n’ont pas oublié, comme on l’entend sur cette vidéo de Paco à Barcelone, vue plus de 500 000 fois. Il a enregistré un CD où l’on retrouve, outre ce titre, neuf autres titres traduits par un Français, Pierre Pascal. Brassens, qui ne parlait pas espagnol, en a chanté cinq transcrits en “phonétique”. Deux sont hélas perdus et les trois autres, se trouvent sur le CD 17. Normalement, on traduit vers sa langue maternelle, ce qui n’est pas le cas de Pierre. Comme j’en faisais la remarque à Paco, il me répondit, péremptoire : “Alors, Pierre a deux langues maternelles !” Il a toujours près de lui le livre des partitions de Brassens qu’il aime qualifier de “Jean-Sebastien Bach de la chanson française”. Son CD de chansons de Brassens en espagnol est une merveille. Son Testamento pourrait (presque) rivaliser avec l’original.

Quel bonhomme ! Toujours bon pied, toujours simple, toujours anar (indigné !), armé seulement de poèmes… ça ne vous rappellerait pas quelqu’un ?

Georges Moustaki m’a dit : “Paco, c’est plus qu’un ami, c’est un frère”, et Paco se sent en bonne fraternité avec ce gorille, allez savoir pourquoi…   (inutile de chercher, Paco n’a jamais enregistré Le gorille).